Positions du SJA sur les projets de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (I) et de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (II) – juillet 2018

I. Sur le projet de loi de programmation 2018-2022.

                Le titre Ier du projet de loi est consacré à l’évolution prévisionnelle des crédits de la mission « Justice » et au nombre prévisionnels d’emplois nouveaux créés relevant du ministère de la Justice au titre de la période quinquennale de référence.

                Le SJA n’a pas d’observations sur cet objectif budgétaire qui ne concerne que les juridictions judiciaires. S’il se félicite d’un effort sensible de restauration des moyens de la justice judiciaire dont la situation très dégradée ne lui permet pas d’accomplir ses missions dans des conditions acceptables, il rappelle la nécessité d’une politique plus dynamique de création d’emplois de magistrats au sein des juridictions administratives (hors CNDA), qui relèvent de la mission « Conseil et contrôle de l’Etat », les artifices consistant à réduire l’accès au juge et à développer les modes de traitement alternatifs des contentieux ne pouvant suffire à faire face à l’accroissement en volume de ceux-ci.

                Le titre II concerne essentiellement les juridictions judiciaires (NB : s’agissant de la médiation, le PJL ne modifie pas les dispositions du chapitre 3 du titre 1er du Livre Ier du CJA issues de la loi « Justice du XXIème siècle qui régissent exclusivement les modalités de recours à la médiation devant les juridictions administratives) à l’exception de l’article 19 relatif à l’anonymisation sous conditions des décisions de justice administrative mises à la disposition des tiers (dans le cadre de l’open data en particulier).

Le SJA est favorable à ce renforcement du droit de la protection de la vie privée des justiciables lorsque la nature du contentieux ou son retentissement médiatique éventuel sont de nature à porter tort aux parties, notamment en raison de l’utilisation qui peut être faite de telles décisions sur les réseaux sociaux.

Il s’interroge sur l’opportunité, sans préjudice du caractère intangible de la mention du nom des juges sur les décisions de justice, de prévoir également l’anonymisation, dans les décisions mises à la disposition des tiers, du nom du magistrat ayant statué en juge unique, notamment en matière de référé, lorsque l’affaire en cause, par sa nature ou le type de litige concerné, est de nature à exposer le magistrat aux menaces de tiers au procès. Il note que cette pratique est déjà observée par les juges des référés au Conseil d’Etat, sauf lorsqu’ils statuent en formation collégiale.

                Le titre III, consacré spécifiquement à la juridiction administrative, est celui qui appelle le plus grand nombre de remarques :

L’article 20, qui étend le délai de quatre années prévu par la loi « Justice du XXIème siècle » en vue de l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire dans les contentieux de la fonction publique et de l’aide sociale jusqu’au 31 décembre 2021, n’appelle pas d’observations particulières autres que celles qui tiennent aux doutes du SJA sur l’efficacité d’un tel dispositif en termes de prévention des recours contentieux, et à la complexification accrue de l’accès à la justice pour certains publics particulièrement fragiles, comme les bénéficiaires de l’aide sociale.

L’article 21 étend le champ d’application du recours aux magistrats honoraires dans les juridictions administratives.

Le SJA n’a pas d’opposition de principe à l’égard du recours aux magistrats honoraires pour venir en appui de juridictions en sous-effectif ou qui se trouvent en tension en matière de traitement des requêtes. Il considère cependant que ce dispositif ne saurait remplacer le recrutement nécessaire de magistrats supplémentaires, l’apport de magistrats expérimentés poursuivant une activité juridictionnelle dans le cadre de l’honorariat ne pouvant être que subsidiaire.

Le SJA est hostile aux dispositions de l’article permettant à un chef de juridiction de confier à un magistrat honoraire des fonctions d’aide à la décision, qui en principe se caractérisent justement par le fait que leurs titulaires n’ont pas la qualité de magistrat. Une telle possibilité est symboliquement désastreuse pour des magistrats par nature très expérimentés qui se trouveraient ainsi, dans le cadre de l’honorariat, dans une situation d’infériorité par rapport à leurs collègues en activité. Une telle possibilité ne peut d’ailleurs que dissuader d’éventuels volontaires.

Il souhaite, en revanche, que les candidats à l’exercice de ces fonctions dans le cadre de l’honorariat ne soient sélectionnés que dans la mesure où leur manière de servir pendant leur carrière active assure que leur apport sera utile à la juridiction et que ce dernier ne soit pas exclusivement envisagé comme un moyen d’obtenir un complément de revenu par les intéressés. Le caractère renouvelable de la liste arrêtée par le vice-président du Conseil d’Etat doit permettre de s’en assurer et de ne pas reconduire des magistrats honoraires qui n’auraient pas donné satisfaction.

Les autres dispositions de cet article, relatifs notamment aux incompatibilités, n’appellent pas de commentaires de notre part.

L’article 22 créé des « juristes assistants », justifiant d’une formation de niveau master au moins et, prioritairement, d’un doctorat, et de deux années d’expérience professionnelle au moins, qui seraient destinés à exercer des fonctions d’aide à la décision au sein des juridictions.

Le SJA exprime de très importantes réserves sur ce projet.

Là encore, il observe en premier lieu que ce dispositif n’a pour but que d’éviter des recrutements, nécessaires, de magistrats administratifs de plein exercice. Les motifs tirés de la nécessaire maîtrise des finances publiques qui peuvent être opposés à cette nécessité ne sont pas recevables, s’agissant de l’exercice d’une mission régalienne et qui, par surcroît, concerne un nombre d’agents publics relativement restreint. La multiplication des statuts de « sous-magistrats » ou de « semi-magistrats » qui auraient vocation à alléger la charge de travail des magistrats de plein exercice -et en réalité de maintenir le nombre de ceux-ci à un niveau inférieur aux besoins effectifs-, n’a pour effet que de créer une justice administrative à plusieurs vitesses, avec une qualité d’expertise variable selon les contentieux (et singulièrement pour les contentieux de masse) et confiée de facto à des personnes qui ne disposent pas des garanties, notamment d’indépendance, attachées à la qualité de magistrat.

En outre, eu égard au profil recherché des juristes assistants, l’argument de l’économie budgétaire paraît faible si les rémunérations proposées aux intéressés sont suffisamment attractives pour garantir un recrutement de qualité et suffisamment stable dans le temps. Il est parfaitement illusoire, du point de vue du bon fonctionnement des juridictions, de prétendre s’attacher les services de juristes confirmés à vil prix et d’espérer de ces derniers, qui auront d’ailleurs le même profil académique et, le cas échéant, professionnel que les jeunes magistrats administratifs et pourront ainsi comparer, sans doute défavorablement, leurs situations respectives, un investissement professionnel réel et durable, a fortiori dans le cadre de contrats à durée déterminée.

A tout le moins, il serait utile de clarifier les différents statuts de l’aide à la décision dans les juridictions administratives et de s’interroger sur l’opportunité d’une substitution de ces juristes assistants aux « assistants du contentieux », agents titulaires de catégorie A de la fonction publique issus du ministère de l’Intérieur présents dans la grande majorité des juridictions.

L’article 23 modifie les critères de maintien en activité des membres du Conseil d’Etat et des magistrats administratifs atteints par la limite d’âge et soumet désormais à conditions ce maintien en activité.

Le SJA est favorable à ces dispositions.

Les articles 24 et 25, enfin, modifient diverses dispositions procédurales du code de justice administrative.

Le SJA se félicite de l’abandon, par le Gouvernement, du projet tenant à permettre l’extension du champ d’application des recours administratifs préalables obligatoires par voie d’ordonnance. Il note le retrait dans le projet de loi de la mesure consistant à subordonner la recevabilité d’une requête au fond ayant été assortie d’une demande en référé-suspension (article L. 521-1 du CJA) rejetée par le juge des référés à la production, par le requérant, d’un mémoire devant la formation collégiale confirmant le maintien de la requête au fond, mais regrette son adoption par décret.

Ces dispositions qui, comme l’a d’ailleurs relevé le Conseil d’Etat, relèvent du pouvoir réglementaire, n’étaient d’ailleurs pas satisfaisantes. Soit, s’agissant des RAPO, qu’elles entendaient développer un outil dont l’échec à maîtriser la croissance du contentieux est pourtant patent depuis plusieurs années, faute notamment pour les administrations actives de s’être véritablement engagées dans une politique de prévention des litiges. Soit, pour la seconde des réformes prévues, qu’elle aurait, au prix d’une dégradation symbolique de la justice administrative, restreint exagérément l’accès au juge en créant un motif d’irrecevabilité qui, d’ailleurs, faisait bon marché de ce que l’office du juge des référés est un office provisoire qui ne préjuge en aucun cas de la solution au fond du litige.

Le SJA est, par ailleurs, favorable à l’extension de la possibilité de statuer en formation collégiale sur les demandes en référé, prévue par le troisième alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, aux référés précontractuels et contractuels organisée par l’article 24 du projet de loi.

De la même manière, il est favorable au renforcement des pouvoirs d’injonction du juge administratif (y compris la commission du contentieux du stationnement payant) prévu par l’article 25, y compris à l’initiative du juge. Il y voit une garantie supplémentaire et bienvenue d’assurer l’effectivité des décisions de justice.

Les autres titres du projet de loi de programmation intéressent exclusivement les juridictions judiciaires et n’appellent pas d’observations de la part du SJA.

II- Sur le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions.

Le SJA n’a pas d’observations particulières à formuler sur ce projet de loi organique qui concerne exclusivement, là encore, les juridictions judiciaires. Il se bornera à s’associer, sur ce point, aux craintes des organisations professionnelles des magistrats judiciaires et des associations représentatives des avocats relatives à l’impact de la disparition des tribunaux d’instance sur l’accès au juge du public, notamment en zone rurale.